banner

Les Amis des parcs ont 10 ans : réflexion et regard sur l’avenir

avril 1, 2021
Park People

Cette contribution de Ken Greenberg s’inscrit dans le cadre du projet « 10 ans ensemble dans les parcs urbains ». Ne manquez pas de suivre toutes les contributions publiées tout au long de l’année.


Les parcs ont la capacité remarquable de mettre en valeur une ville, de créer des liens entre les gens, d’améliorer la qualité de vie des citoyens de tous âges, de lutter contre l’isolement social et la solitude, et de faire bénéficier les visiteurs des vertus thérapeutiques de la nature. Lorsque des gens se réunissent dans leurs parcs , ils augmentent la cohésion sociale et créent un solide enracinement au niveau local. Ils renforcent le tissu social et combattent la polarisation en dirigeant l’attention et les ressources vers des zones et des populations défavorisées. Toutefois, nous sommes actuellement confrontés à un enjeu de taille : comment pouvons-nous répondre à la demande croissante en espaces verts alors que la population et la densité ne cessent de croître dans les villes? À travers le Canada, l’une des principales demandes formulées à maintes reprises par les résidents pendant les consultations publiques sur le thème de l’intensification du développement urbain est d’augmenter et d’améliorer les parcs et les espaces ouverts dans le cadre d’une expansion de l’espace public. Mais ceci présente un sérieux dilemme. Comment les villes du Canada peuvent-elles devancer l’intensification du développement urbain répondant au dynamisme et à la croissance d’une ville, tout en élaborant un programme innovant permettant d’élargir le système des parcs? Un autre enjeu est de savoir comment faire en sorte que tous les secteurs d’une ville, et en particulier les quartiers défavorisés ne disposant pas d’espaces verts bien aménagés, bénéficient de ces programmes et soient traités sur un pied d’égalité. Même si certains espaces ouverts semblent être verts sur la carte de certains quartiers, ceux-ci manquent souvent d’aménagements, restent difficiles d’accès pour une grande partie de la population, et n’ont guère de liens avec la vie quotidienne des gens. Lorsque la COVID-19 est apparue en 2020, elle a joué le rôle d’ « accélérateur de particules ». Elle a mis en évidence les défaillances et les points faibles de notre société et, dans de nombreux cas, elle nous a poussés à nous adapter encore plus rapidement et prestement. Entre autre chose, elle a tout particulièrement mis en lumière notre nécessité d’avoir accès à des parcs qui représentent une véritable bouffée d’oxygène vitale lorsque nous sommes contraints de nous confiner. Vous trouverez ci-dessous quelques réflexions sur ce que la période actuelle nous apprend et qui pourra nous servir pour les 10 prochaines années. Dans des dizaines de villes du monde, nous constatons une demande irrépressible d’espaces en plein air sûrs et accessibles. Jamais jusqu’à présent, la fréquentation des parcs n’a été aussi élevée. Au Canada, les parcs sont devenus des espaces publics essentiels, à l’image des Piazza en Italie. Comme je le constate dans mon quartier à Toronto, chaque espace vert disponible est devenu un lieu de rencontre très fréquenté par des gens de tous âges, jusque tard dans la soirée et même en hiver. Cette intensification de la fréquentation des parcs reflète un désir de passer du temps dehors tout en respectant les règles de distanciation physique. Mais ceci révèle également une toute nouvelle façon de voir et d’utiliser la ville et d’être avec les autres. Et tandis que nous nous adaptons à ces changements dans notre vie, il est peu probable que la dynamique s’inverse après la pandémie. En effet, la transition « improvisée » accélère profondément un mouvement déjà amorcé. D’une part, le désir croissant de vivre en ville entraînait déjà un besoin accru d’espaces publics. Mais, malheureusement, le coût élevé des terrains a souvent entravé l’acquisition de parcs traditionnels. La nécessité pour la population d’avoir accès à plus d’espace s’est accompagnée d’un changement dans la façon dont nous utilisons cet espace public et dans le type d’expériences que nous recherchons avec un accent mis sur plus de flexibilité et d’interaction. Ceci a aussi donné lieu à de nouveaux modèles, comme les « voies vertes », qui traduisent le passage d’un mode de vie dépendant de l’automobile au transport actif basé sur le vélo et la marche.   La pandémie fait monter les enchères. Elle nous force à nous interroger sur la forme que prendront nos lieux publics dans l’avenir, tandis que la tendance d’avoir des grandes villes densément peuplées ne cesse de croître. La situation actuelle nous donne d’ores et déjà quelques pistes. Ce qui importe n’est pas seulement la quantité d’espaces publics ouverts – jusqu’à présent le secteur conventionnel de l’urbanisme se concentrait généralement sur les mètres carrés de parc par habitant dans un rayon donné. Bien que cet aspect soit important, nous devons davantage nous concentrer sur la qualité et l’utilité de cet espace, et sur la manière dont il améliore notre vie. Plus que jamais, nous constatons à quel point les lieux publics aujourd’hui ne sont ni un luxe ni « accessoires ». Les villes dotées d’un réseau de lieux publics bien aménagés et accueillants offrent à leurs résidents des avantages considérables en termes de santé publique, tant sur le plan physique que mental. Avant la pandémie, nous étions déjà confrontés à une crise de santé publique, exacerbée par un mode de vie sédentaire où la dépendance excessive à l’automobile et la tendance à passer de longues heures devant des écrans ont produit une épidémie d’obésité, ainsi qu’une augmentation du diabète et des maladies cardiaques, particulièrement alarmante chez les enfants. Quant à la crise sanitaire actuelle, elle a souligné l’importance des lieux publics qui permettent aux personnes de tous âges de sortir et de pratiquer différentes activités – promenade à pied ou à vélo, ou toutes sortes d’activités sportives tout au long de l’année. Ils peuvent ainsi intégrer ces activités bénéfiques pour leur santé à leur routine quotidienne, près de chez eux et de leur lieu de travail. Betsy Barlow Rogers, fondatrice de l’organisation Central Park Conservancy, a fait remarquer avec une grande clairvoyance que « si la ville est davantage à l’image d’un parc, le parc est alors davantage à l’image d’une ville ». En d’autres termes, lorsque les frontières physiques s’estompent, une véritable fusion s’opère. À l’image d’un parc, la ville entière devient ainsi plus verte et accessible aux personnes pratiquant la marche ou le vélo. En aidant la population à se déplacer relativement librement et à redécouvrir la ville de cette manière, nous pourrons abolir les préjugés entre les différents quartiers et les secteurs d’une ville, alors que les voies continuent de se fluidifier. Les éléments de l’espace public servant de passerelles naturelles entre les différentes zones d’une ville joueront un rôle essentiel en contribuant à créer une ville ressemblant à un tout homogène. À cet égard, Londres s’est déclarée la première ville « parc national » au monde. Avec le temps, on peut s’attendre à ce que les liens que nous créons actuellement à la va-vite deviennent ensuite la règle. Tandis que nous revoyons notre définition de l’espace public en faisant en sorte qu’il ressemble davantage à un parc, nous serons amenés à nous libérer de l’idée préconçue de ce qu’est une ville. Les villes ne seront plus seulement conçues autour des autoroutes et des grandes artères, mais de plus en plus autour de réseaux de lieux partagés interconnectés, servant de passerelles à travers la ville. Lorsque nous posons un nouveau regard sur la ville, nous sommes amenés à nous interroger sur ce que constitue un parc. En tenant compte de tous les types d’espaces publics – que ce soient les allées, le remaniement des rues, les ravins, les corridors hydroélectriques, les voies ferrées, le système de gestion des eaux pluviales, les dispositifs de protection contre les inondations et les initiatives en matière de transport – nous pouvons contribuer à leur expansion et ainsi répondre aux nombreuses lacunes qui existent actuellement dans les villes. Dans l’avenir, l’espace public sera différent, tant par son échelle que par sa nature. À la place de lieux publics subtilement délimités et implantés dans un quadrillage de rues – une connotation présente dans les termes parc et square – ce nouveau type de lieux publics pourrait bien devenir une trame continue permettant de relier les gens entre eux et créant un fil conducteur dans le tissu urbain lui-même. Cette idée plus large de voir la ville comme un paysage, où tout est naturellement plus fluide, nous ramène d’une certaine manière à une perception Autochtone précoloniale du territoire sur lequel nous vivons. Cette perception considère la terre comme une « ressource commune » abondante et partagée, qui n’est plus strictement délimitée ni entourée de limites. Notre objectif dans les 10 prochaines années sera donc de tirer parti de cette vision plus large de ce qu’est et peut être un parc. Pour ce faire, notre organisation s’engagera activement dans la concrétisation de cette vision. Depuis 10 ans, les Amis des parcs plaide pour exploiter le plein potentiel des parcs, en ouvrant la porte à davantage d’initiatives et d’activités citoyennes, en faisant davantage appel à des bénévoles, en encourageant la création de petits cafés, de kiosques alimentaires et de jardins communautaires, en fournissant plus de sources de financement ainsi que son apport personnel, et en invitant les populations défavorisées à participer.   En 2011, l’année où les Amis des parcs a vu le jour, j’ai eu le privilège de siéger au conseil d’administration, aux côtés de mon épouse Eti, qui a été membre aussi pendant plusieurs années. L’organisation, composée de personnes talentueuses et passionnées, s’est rapidement transformée en un lieu de rencontre pour toutes les personnes qui se soucient des parcs. Elle a aussi permis aux groupes mobilisés dans les parcs de Toronto qui ignoraient l’existence les uns des autres de créer des liens. Alors qu’au départ, son mandat reposait sur le plaidoyer, le réseautage et le partage d’expérience, l’organisation a vu croître de plus en plus son influence auprès des autorités municipales. Par la suite, le personnel municipal et les politiques ont également commencé à voir les Amis des parcs comme un allié essentiel et un agent de liaison avec la population. C’est ainsi que tout a commencé. Qui aurait pu imaginer ce que deviendrait les Amis des parcs les années suivantes? Pendant les cinq premières années, nous nous sommes efforcés de mettre en relation les groupes citoyens mobilisés dans les parcs, les experts des parcs, les groupes à but non lucratif et les bailleurs de fonds constituant déjà un réseau solide à Toronto et de leur apporter notre soutien. À mesure que notre organisation s’est développée, d’autres villes à travers le Canada nous ont remarqués. Elles ont ainsi exprimé leur désir d’avoir accès à une organisation et à un réseau similaires pour soutenir leur travail dans les parcs. En 2017, lors de sa première conférence nationale à Calgary, les Amis des parcs a ainsi lancé son réseau national. En 2021, tandis que l’organisation célèbre ses 10 ans, le Réseau national des Amis des parcs se compose désormais de quelque 850 groupes mobilisés dans les parcs dans 46 villes canadiennes, et ce, dans chaque province du Canada. À l’heure actuelle, nous comptons 30 employés à travers le Canada, ainsi que des bureaux à Montréal, Toronto et Vancouver. Notre conseil d’administration est national et comprend de nombreux experts des parcs, urbanistes et chefs de file engagés. Le Rapport sur les parcs urbains du Canada qui en est à sa troisième année, est le seul rapport au Canada sur les tendances et les défis auxquels sont confrontés les parcs urbains. En outre, une gamme de programmes innovants permet de soutenir les activités organisées dans les quartiers défavorisés, les projets et événements innovants dans les parcs, et la mobilisation citoyenne dans l’ensemble du Canada.

 

Dans cette série marquant nos 10 ans seront présentées plusieurs initiatives mises en œuvre dans les parcs et illustrant ce que notre organisation appelle « le pouvoir des parcs ».

  • S’étendant sur 13 kilomètres entre la Vallée de la rivière Don et le Parc national de la rivière Rouge à Toronto, le site de Meadoway incarne parfaitement la manière dont on peut exploiter le potentiel d’un corridor hydroélectrique autrefois stérile et négligé et le rendre à nouveau sauvage, tout en contribuant à la restauration de son habitat. Ce projet s’est appuyé sur les efforts déployés depuis longtemps par l’Office de protection de la nature de Toronto et ceux de la région dans les ravins de Toronto et dans la péninsule artificielle appelée Leslie Street Spit.
  • À Vancouver, l’Arbutus Greenway représente un excellent exemple de récupération de terrains industriels obsolètes en vue d’en faire des parcs. Cet endroit se veut un lieu de célébration autour de différents thèmes, comme la gastronomie, l’art et les spectacles, les loisirs et la création d’habitats naturels. À Vancouver également, le projet immobilier Senakw, lancé par la Première Nation Squamish, remodèlera le paysage en s’appuyant dès le départ sur l’avis des Premières nations.
  • Le projet des « ruelles blanches » à Montréal est né d’une initiative citoyenne qui a transformé certaines ruelles en patinoires pendant l’hiver. Cette initiative a été créée en parallèle des « ruelles vertes », un projet permettant de transformer les ruelles en parcs miniatures. Quant au parc Flyover de Calgary, il représente un excellent exemple d’initiatives citoyennes visant à réaffecter des espaces inutilisés sous les voies rapides et à proximité, comme c’est le cas du Bentway, du Underpass Park à Toronto et de La Falaise à Montréal.
  • À Québec, « Rêvons nos rivières » est un projet sur lequel j’ai travaillé avec la ville afin d’intégrer les berges des quatre rivières de la ville qui se jettent dans le Saint-Laurent à un réseau de parcs à travers la ville. Parmi les autres projets d’aménagement des rivières, citons notamment le nouveau projet de parc à l’embouchure de la rivière Don à Toronto, créant un nouvel estuaire fluvial avec un accès direct à l’eau (bateaux, plages par ex.), et qui s’étend sur les anciens parcs entourant le port. Mentionnons également la promenade Riverwalk de Calgary au confluent des rivières Bow et Elbow, et le projet River Valley Alliance d’Edmonton.

Comme en témoignent ces exemples, les projets d’innovation en matière de développement et de gestion des parcs au Canada sont très prometteurs. Ces 10 dernières années, les Amis des parcs a créé des bases solides en identifiant les besoins et les opportunités, en mobilisant des ressources au sein de la population et en incitant les villes canadiennes à agir. Tout ceci a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives. Et nous sommes impatients de découvrir ces nouveaux et remarquables espaces naturels et de voir ce que nous réserve l’avenir.

 

 

À propos de Ken Greenberg

 

Ken Greenberg est urbaniste, enseignant, rédacteur, ancien directeur du service d’urbanisme et d’architecture de la ville de Toronto et directeur de l’agence Greenberg Consultants. Récipiendaire de l’Ordre du Canada, il a siégé au conseil d’administration des Amis des parcs pendant huit ans et a joué un rôle essentiel dans la création de l’organisation.

 


 

Cette contribution de Ken Greenberg s’inscrit dans le cadre du projet « 10 ans ensemble dans les parcs urbains ». Ne manquez pas de suivre toutes les contributions publiées tout au long de l’année.

Rendu possible grâce au généreux soutien de

La promesse TD prêts à agir